HISTORIQUE

 

Le ler novembre 1911, le sous-lieutenant Giulio Gavotti de la Flottille de l'Air italienne vole au-dessus de l'oasis de Taguira, en Lybie, et lance plusieurs grenades sur les troupes turques : c'est la première fois que des bombes sont larguées depuis un aéroplane en guerre. Cet événement marque un tournant dans l'aviation et témoigne du changement des mentalités depuis ce jour de l’année précédente, où des officiers anglais avaient protesté contre le passage d'un avion lors d’un exercice de reconnaissance aérienne au-dessus des troupes à Salisbury Plain (Angleterre) pour avoir « inutilement effrayé les chevaux de la cavalerie ».
Ayant fini par réaliser le potentiel de l'aviation, les gouvernements ont en effet abandonné, en l'espace d'un an, la vision quelque peu naïve et simpliste qu’ils pouvaient avoir de celle-ci. Seuls les Américains s'étaient montrés jusque-là plus pragmatiques en démontrant que les avions pouvaient décoller d'un porte-avions, qu'il était possible de communiquer avec le pilote par radio et de faire parvenir des messages aux troupes au sol, et même que l'on pouvait tirer à la mitrailleuse depuis un biplan Wright B.
À la fin de 1912, la Turquie a formé une Section aérienne, la Bulgarie possède un Corps d'aviation et le Japon une unité aéronavale. La Grande-Bretagne, plus lente à se mettre à niveau, ne forme le Royal Flying Corps, doté de 50 appareils, que le 13 mai 1912, bien après la France qui aligne déjà 200 avions, plusieurs centaines d'hommes et a instauré de solides procédures opérationnelles. L’Allemagne, plus favorable au dirigeable, rattrape également son retard et crée une Force aérienne le ler octobre 1912, à laquelle sont affectées une centaine d'appareils environ et plusieurs dirigeables.
Ces corps d'armée, qui disposent tous d'un budget propre, encouragent la construction aéronautique. Mais l’utilité de l'aéroplane reste, à l'exception des missions de reconnaissance, encore assez mal définie. Même les quelques aviateurs qui discernent l'avantage militaire à tirer de l'avion ne réalisent pas vraiment les conséquences d'une guerre en Europe pour l'aviation. Le Français Roland Garros, qui avait organisé près de Mexico un simulacre de bombardement, à coups d'oranges, sur une batterie d'artillerie mexicaine, passe une grande partie de l'été 1914 en Allemagne à faire des démonstrations d'acrobatie dans son monoplan Morane Bullet et à exposer ses théories sur le vol militaire à des journalistes allemands fascinés. Le jour de la déclaration de guerre, il parvient à s’enfuir d'Allemagne et à rentrer en France après un périlleux vol de nuit via la Suisse.
Lorsque les Alliés entrent en guerre, ils n'ont pas encore de véritables avions de combat mais des machines comme le biplan Avro 504 de l’Anglais A.V. Roe, dont les ailes décalées permettent au pilote et à l'observateur de voir le sol, les biplans français de Henry Farman, les Longhorns de Maurice Farman, les bombardiers Voisin à propulsion et même les vieux monoplans Blériot. L’aviation allemande se compose alors d'Aviatik, d'Albatros et de monoplans Rumpler Taube, aux ailes « à rémiges » comme celles d’un oiseau, en plus de nouveaux monoplans Fokker Eindecker El et d'une trentaine de zeppelins long-courriers.
Presque tous assignent aux aviateurs des missions de photographie des tranchées ennemies et des mouvements de troupe, d'observation et de correction des tirs d'artillerie, parfois de harcèlement des adversaires en lançant de petites bombes on des flèches explosives. Les duels aériens se déroulent encore entre pilotes au pistolet ou à la carabine. Les mitrailleuses montées tout à l'avant des avions à hélice propulsive, par exemple le Vickers F.B.5 Gunbus, ne se révèlent efficaces que s'il est possible d'être assez rapide pour s'approcher de l'appareil ennemi. Les avions de reconnaissance rapides - le Eindecker, le Morane-Saulnier et le Sopwith Tabloid entre autres - pourraient être employés mais il leur faut alors pouvoir tirer à travers l'hélice avant. Le problème était ardus.
C'est Garros qui, assisté par le constructeur Raymond Saulnier, trouva la solution en adaptant sur les pales de l’hélice de son Morane-Saulnier des déflecteurs en acier déviant les balles qui ne parvenaient pas à passer. Le ler avril 1915, il réussit à abattre avec sa mitrailleuse Hotchkiss ainsi un Albatros allemand puis, pendant les 16 jours suivants, à descendre cinq autres appareils ennemis, victoires qui firent de lui le premier as de l'aviation. Le 19 avril, contraint de se poser derrière les ligues allemandes, il fut capturé sans avoir en le temps de détruire son appareil.
L'«arme secrète» des Alliés n'en était plus une. En l'espace de quelques jours, le hollandais Anthony Fokker, auteur dit Eindecker allemand, a étudié l'avion de Garros et conçu un système d'interrupteur qui assurait la synchronisation du tir à travers l'hélice. Utilisant ce dispositif en août 1915, Max Immelmann et Oswald Boelcke partirent abattre facilement plusieurs appareils alliés. En septembre, les avions alliés cherchant désormais à échapper au « fléau Fokker », abandonnèrent la maîtrise du ciel à l'Allemagne sur le front Ouest.
En janvier 1916, Boelcke et Immelmann - devenu célèbre pour la figure de voltige qui porte son nom et permet à un pilote de se retrouver derrière son poursuivant - ont chacun abattu huit avions et sont acclamés par le public allemand. La guerre aérienne allait désormais avoir ses héros et ses légendes : le «Baron rouge» allemand Manfred von Richthofen, les capitaines français René Fonck et George Guynemer, le major Edward «Mick» Mannock et le capitaine Albert Ball britanniques, le major canadien William Bishop et le capitaine américain Eddie Rickenbacker.
L’aviation allié s'impose de nouveau sur le front Ouest à l'été 1916 grâce à des appareils plus performants. La France dispose du nouveau et rapide Nieuport 11, un monoplace de reconnaissance avec armement avant synchronisé ; la Grande-Bretagne possède des FE2b et des DH 2 à hélice propulsive avec canons à l'avant, ainsi que du Sopwith 1 1/2 Strutter, équipé de deux mitrailleuses tirant à travers l'hélice. On construit également un grand nombre de chasseurs : le Sopwith Pup, le Sopwith Camel et le SE5A en Grande-Bretagne, l'Albatros DIII et le Pfalz DIII en Allemagne, et les SPAD en France.
Les bombardiers, bien que moins prestigieux, se révèlent avoir une plus grande importance stratégique et politique. Les Alliés craignent depuis le début de la guerre le potentiel des zeppelins allemands dans des missions de reconnaissance et de bombardement à long rayon d'action. Dans cette optique, et même si ce fut un monoplan Taube allemand qui fut le premier à larguer des bombes - sur Paris le 30 août 1914 -, les zeppelins devinrent rapidement la cible principale des Alliés. Le Royal Naval Air Service organise la première attaque aérienne depuis un navire le jour de Noël 1914 en envoyant sept hydravions Short bombarder les hangars des dirigeables à Cuxhaven. Quelques mois plus tard, la Marine anglaise dispose du premier «porte-hydravions», le Vindex, et lance des torpilles à partir d'hydravions dans les Dardanelles. En août 1917, elle fit décoller un chasseur depuis le pont du HMS Furious, premier porte-avions de l'histoire.
Cela n'empêche pas les puissants zeppelins, capables de voler silencieusement en altitude, d'effectuer des raids sur la Grande-Bretagne. Leurs premières attaques visent les villes de la côte est de l'Angleterre en janvier 1915, mais cessent rapidement après septembre 1915, lorsque le lieutenant W. Leefe-Robinson abat un zeppelin près de Londres et met en fuite 15 autres dirigeables. Les défenses britanniques s'améliorant, les Allemands envoient leurs nouveaux bombardiers Gotha bombarder Paris, provoquant des centaines de victimes, puis attaquer Londres où, le 13 juin 1917, un raid de quatorze Gotha tue 162 personnes et fait 432 blessés, parmi lesquels nombre d'enfants. Pour venger l'outrage, le général sud-africain J.C. Smuts expédie deux escadrilles de Sopwith Camel en France pour combattre les Gotha lors d'attaques de jour comme de nuit. Smuts va plus loin : non seulement il recommande d'effectuer des frappes aériennes de représailles contre les centres civils et industriels allemands mais, afin de dégager les pilotes de l'autorité de l'armée de Terre et de la Marine, suggère que les forces aériennes soient regroupées sous un commandement unique.
Le Premier ministre britannique, David Lloyd George, devant l'effondrement de la Russie à l'est, l'indiscipline d'une partie de l'armée française, la participation encore peu décisive des États-Unis et ayant besoin d'une victoire rapide, accepte le 1 er avril 1918 de créer la Royal Air Force. En juin, les nouveaux bombardiers Handley Page 0/400, équipés de deux moteurs Rolls-Royce de 360 ch et capables d'emporter jusqu'à 2 tonnes de bombes, ont accompli 57 missions sur l'Allemagne. Ces raids, malgré les pertes subies et leur faible influence sur la production industrielle allemande, obligent toutefois L’Allemagne à dégarnir le front d’un certain nombre de ses chasseurs et contributent, à l'instar des bombardements de Gotha sur la Grande-Bretagne, à saper le moral des civils allemands.
Les forces aériennes alliées, malgré les lourdes pertes subies face aux excellents avions allemands que sont les Junkers J4 et Fokker DVII, participent à part entière aux opérations terrestres et navales des derniers mois de la guerre en bombardant et en mitraillant les troupes an sol. Ainsi, en septembre 1918, conduits par le général de brigade américain « Billy » Mitchell, 1483 avions alliés de tous modèles apportèrent leur sontien lors de l'offensive contre le saillant de Saint-Michel.
Malgré cela, pendant l'année qui suivit la fin de la guerre, en novembre 1918, Mitchell dut se battre à Washington pour faire valoir ses arguments en faveur de l'aviation tandis que la RAF - la plus importante force aérienne indépendants au monde, avec 3 300 appareils en service et près de 300 000 hommes - se trouvait décimée par la démobilisation. Il faudra attendre encore longtemps avant que les militaires acceptent l'idée d'une «troisième arme», autre que terrestre et maritime.