Le meeting de Los Angeles
Les milliers d'américains sceptiques qui n'avaient
jamais vu voler un aéroplane se convertirent en fanatiques de
l'aviation après le premier grand meeting aérien de Los
Angeles, en janvier 1910. On avait choisi comme terrain le vieux
ranch Dominguez, théâtre d'une bataille de la guerre contre le
Mexique, situé sur un plateau élevé où les gens ne pourraient
voir le spectacle sans payer leur place. Cependant, le meeting de
Los Angeles n'était qu'une bagatelle comparé à la Grande
Semaine aéronautique de Reims.
De tous les aviateurs étrangers attendus, seul vint le Français
Louis Paulhan; il arriva accompagné de sa femme, de deux
mécaniciens élèves-pilotes et d'un caniche, et avec deux
biplans Farman et deux monoplans Blériot. Au début de sa
carrière, Paulhan avait travaillé pour le capitaine Ferber ;
plus tard, ayant gagné une cellule de Voisin dans un concours de
modèles réduits, il emprunta de l'argent pour s'acheter un
moteur, le monta sur la cellule et apprit seul à piloter. Il
avait terminé quatrième au classement général de Reims et ce
résultat, ajouté au fait qu'il était doté d'un naturel
enjoué (et avait une fort jolie femme), faisait de lui une
attraction maîtresse sur laquelle les promoteurs du spectacle
comptaient beaucoup.
Mais les Wright, qui ne participaient pas au meeting de Los
Angeles, faillirent tout compromettre. Au moment où Paulhan
débarquait du bateau, des hommes de loi new-yorkais
l'informèrent que les deux frères avaient déposé en justice
une requête visant à lui interdire de voler aux États-Unis ;
ils prétendaient que le système de gouvernes de ses avions
constituait une contrefaçon de leurs brevets pour les procédés
de gauchissement des ailes.
En outre, une semaine avant le début du meeting, un juge
fédéral fit droit à une requête similaire de leur part,
visant cette fois Glenn Curtiss pour les mêmes raisons. Celui-ci
déposa une caution, fit appel et décida d'envoyer malgré tout
ses avions à Los Angeles.
Son équipe y récolta sa part des prix, 10 250 dollars au total,
mais Louis Paulhan, que les journalistes avaient surnommé «le
merveilleux petit Français», éclipsa tout le monde. Il
établit sur son Farman un nouveau record d'altitude en
s'élevant à 1 269 mètres et effectua un parcours de 72
kilomètres, du terrain au champ de course de Santa Anita et
retour. Avec 19 000 dollars de gains pour la semaine, il
devançait largement les autres concurrents.
Il entreprit alors une tournée d'exhibitions dans les villes de
l'Ouest. Mais, le 17 février, un juge fédéral fit droit à la
requête des Wright et lui transmit un commandement l'obligeant
à déposer une caution de 25 000 dollars pour chaque vol
rétribué effectué le mois suivant. Furieux le Français annula
sa tournée, revint à New York et nargua les Wright en
organisant plusieurs exhibitions publiques gratuites. Puis il
repartit pour l'Europe où il fit bientôt parler de lui en
enlevant le plus riche prix jamais offert à un aviateur.