HISTORIQUE

Source : Encyclopaedia Universalis. (Edmond Petit)

 

1 - Des origines aux environs de 1900

Avant même de voler, le premier problème qui s'est posé à l'homme désireux d'imiter les oiseaux a été celui de quitter le sol. La légende cède peu à peu la place à l'histoire et, après les livres saints de toutes les religions, dont certains sont de véritables « volières », les textes des chroniqueurs apportent quelque précision sur les « mécanismes ingénieux » capables de faire voler l'homme. Aristote et Galien se penchent sur le problème, Aulu-Gelle décrit la fameuse colombe d'Archytas et les poètes célèbrent le malheureux Icare, tandis que les mathématiciens s'intéressent davantage à son père, l'inventeur Dédale. Accrochés à des oies, des condamnés à mort sont précipités du haut des falaises; d'autres, des ailes sur le dos, s'élancent de points élevés, tours et collines, font quelques battements et tombent ou atterrissent un peu plus loin et un peu plus bas que leur point de départ. Beaucoup y laissent leur vie. L'histoire retient parfois leur nom.
Vers 1500, Léonard de Vinci, le premier, étudie scientifiquement le problème. Des pages et des pages d'écriture, plus de quatre cents
dessins l'attestent : le Florentin a pressenti l'hélicoptère, le parachute. On dit même qu'il aurait essayé un planeur en vraie grandeur.
Au XVI ème siècle, l'Anglais Bate introduit en Europe la mode du cerf-volant, empruntée aux anciens Chinois. Guidotti, Burattini, Allard sont les héros de tentatives malheureuses. En 1673, on signale un serrurier du Mans, Besnier, qui avec des surfaces à clapets aurait réussi à voler. En 1742, le marquis de Bacqueville aurait parcouru quelque trois cents mètres au-dessus de la Seine, à Paris.
En 1783, la découverte de l'aérostat par les frères Montgolfier suscite un engouement tel pour les « globes » que les recherches sur les appareils plus lourds que l'air seront suspendues et vont prendre un certain retard. Blanchard, Resnier de Goué, Degen, Berlinger (deux Français, un Suisse, un Allemand) proposeront bien quelques solutions et tenteront même quelques expériences en vol, mais il faudra attendre la fin du XVIII ème siècle pour trouver celui que les Anglais ont appelé « l'inventeur de l'aéroplane », sir George
Cayley. En 1796, reprenant les travaux des Français Launoy et Bienvenu, il construit un hélicoptère. En 1799, il grave sur un disque d'argent la représentation des forces aérodynamiques sur un profil d'aile. En 1808, il dessine un « ornithoptère » à l'échelle de l'homme. En 1809, il construit un planeur qui vole (sans passager). En 1843, il dessine le premier modèle de « convertiplane » et, en 1849, construit un planeur qui aurait été expérimenté avec un passager.
Vers la même époque, deux autres Anglais, Henson et Stringfellow, (
photos) furent bien près de trouver la solution. Si l'Ariel, dont nous possédons de très nombreuses gravures publiées à l'époque, ne fut jamais construit, il n'en reste pas moins que Stringfellow, continuant les travaux de Cayley et de Henson, fit voler pour la première fois dans l'histoire un modèle réduit d'aéroplane à vapeur.
C'est en 1856, avec le Français Jean-Marie Le Bris, que les premiers essais de planeur avec passager ont lieu, et c'est encore avec lui, en 1868, que sera prise la première photographie d'un « plus lourd que l'air », en vraie grandeur.
En 1863, on aura noté l'invention du mot « aviation » par Gabriel de La Landelle, le lancement de la campagne de la « sainte hélice » par Nadar et la construction, par Ponton d'Amécourt, d'un hélicoptère à vapeur, première application de l'aluminium au plus lourd que l'air.
Depuis Cayley, l'attention des chercheurs a été attirée sur l'importance des données aérodynamiques. Un pas décisif sera fait dans ce domaine par un autre Anglais, Wenham, qui construira le premier « tunnel » (on dira « soufflerie » par la suite) pour l'expérimentation des maquettes. La notion d'essai systématique apparaît, remplaçant bientôt les tâtonnements.
En France, Pénaud et Gauchot proposent en 1876 un aéroplane avec train escamotable, hélices à pas variable, gouvernes compensées et commande unique pour la profondeur et la direction.
D'autre part, vers 1874, le Français Félix du Temple parvient à lancer son aéroplane à vapeur le long d'un plan incliné, avec un jeune marin a bord. Mais pour qu'il y ait décollage, il ne faut ni plan incliné ni moyen additionnel (catapulte, contrepoids ), et, pour qu'il y ait vol, il faut : trajectoire soutenue, dirigeabilité, enfin atterrissage à un niveau au moins égal à celui du point de départ.
Nous arrivons à la fameuse controverse relative au premier vol de l'histoire : Clément Ader a-t-il volé le premier, le 9 octobre 1890 au château d'Armainvilliers ou le 14 octobre 1897 à Satory ? Les témoignages que l'on cite à l'appui sont-ils valables ? Si l'on répond par la négative à la première question, c'est aux frères Wright, disent les Américains, qu'il faut attribuer
l'exploit, réalisé le 17 décembre 1903 à Kitty Hawk, en Caroline du Nord. Les historiens sont partagés. Aucun procès verbal officiel n'a été établi sur le moment, ni pour l'un ni pour l'autre de ces vols. Il est certain dans les deux cas qu'il y a eu «soulèvement». Peut-on dire qu'il y a eu vol soutenu du fait du moteur? En tout cas, il n'y a pas eu virage. C'est le 5 septembre 1904 seulement que l'on voit apparaître dans les carnets des frères Wright fa notion de « demi-cercle ». Il convient également de se replacer à l'époque : on constate alors que les constructeurs, aussi bien Ader que les frères Wright, tenaient à entourer leur invention du plus grand secret. Ce n'est que bien plus tard, au bout de quelques années, que se firent jour les déclarations d'antériorité. Entre 1890 et 1905, le public, pour passionné d'aviation qu'il fût, était assez mal informé des expériences précises de nos précurseurs. C'est aujourd'hui seulement, avec un certain recul, que nous avons en main les données du problème ; travaux d'Ader, des frères Wright, mais également recherches et expériences de Mojaïski en Russie, de Maxim en Angleterre, de Jatho en Allemagne, de Kress en Autriche, de Langley aux Etats-Unis. Tous ceux que nous venons de citer ont essayé de décoller avec un moteur, mais cela ne doit pas faire oublier les noms de ceux qui ont fait faire de grands progrès à l'aviation au moyen du planeur : c'est en premier lieu l'Allemand Lilienthal, puis Ecossais Pilcher, les Américains Montgomery et Maloney les Français Ferber, Charles et Gabriel Voisin. Il ne faut pas oublier non plus les expériences de Hargrave en Australie, avec ses cerfs-volants cellulaires, et les études sur le vol des oiseaux des Français Mouillard et Marey. Il faut enfin se rappeler qu'il s'en est fallu de bien peu pour qu'un autre américain, Langlay, décollât avant les frères Wright, si ses expériences sur le Potomac avaient été couronnées de succès le 8 décembre 1903. Qui a volé le premier ?
Octave Chanute essayant son planeur sur les
dunes proches du lac Michigan en 1896.








2 - DE 1906 A 1914

Qu'importe si l'exploit a été réalisé en France ou en Amérique, en 1890, 1897 ou 1903.Ce qu'il faut retenir de cette époque héroïque c'est la passion avec laquelle tous ces pionniers se dévouaient à l'aviation, risquant leur vie et leur fortune et - il faut bien le dire - profitant tous de leurs découvertes respectives, dans la mesure où le secret n'empêchait pas l'échange des informations. L'un des théoriciens de l'époque, Octave Chanute, avait très bien compris cette nécessité de la circulation et de l'échange de la documentation. Il est certain qu'on lui doit beaucoup, non seulement en raison de ses propres travaux, mais encore pour tous les contacts qu'il sut établir entre les américains et les français.
Théoriciens et « aviateurs » travaillent ferme en même temps dans tous les pays : Phillips en Angleterre, Ellehamer au Danemark, Joukovski en Russie, Crocco en Italie, Esnault-Pelterie en France, Drzewiecki en Pologne. La grande difficulté est de trouver un moteur léger et puissant. C'est un Français, Levavasseur, qui y parvient le premier avec le moteur« Antoinette », mais c'est un Brésilien, Alberto Santos-Dumont, qui va inscrire - avec ce moteur et sur un aéroplane de sa construction, le 14 bis - son nom à la première ligne d'un palmarès unique au monde, celui des record d'aviation. L'Aéro-Club de France (fondé en 1898) et la F.A.I. (Fédération aéronautique internationale, fondée en 1905) s'étaient en effet portés garants de l'homologation de ces performances officielles. Le 12 novembre 1906, sur la pelouse de Bagatelle, Santos-Dumont allait donc s'attribuer les trois premiers records du monde : durée (21 s 1/5), distance (220 m), et vitesse (41,292 km/h). De l'altitude, il n'était pas encore question, puisqu'il arrivait aux commissaires de se plaquer sur l'herbe pour constater que les roues avaient bien quitté le sol. Précisons que les vols du 12 novembre 1906 s'étaient effectués en moyenne à 6 mètres du sol. Une autre date importante : le 13janvier 1908. Ce jour-là, sur un Voisin, moteur Antoinette, Henri Farman s'adjuge le prix offert par les mécènes Deutsch et Archdeacon ; il réussit le premier kilomètre en circuit fermé officiellement contrôlé. Un peu plus tard, en octobre de la même année, il

réussira une autre première, la liaison de ville à ville (Bouy-Reims, 27 km). En octobre 1908 également, Wilbur Wright, en France, bat le record de distance avec 66,6 km. Il terminera l'année avec 124,7 km. Le vrai départ est donné, courses et meetings vont se succéder au cours desquels de nouveaux noms vont apparaître : Blériot, Breguet, Delagrange, Latham, Paulhan, Roe, Curtiss, Rolls, Cody, Grahame-White.
Louis Blériot va associer son nom à un exploit spectaculaire : la traversée de la Manche. Le 25 juillet 1909, en 37 mn, sur un Blériot, moteur Anzani de 25 ch, il réussit, battant de justesse le courageux Latham qui, sur Antoinette, deux fois de suite, tombe dans la mer (photo ci-dessus). L'année suivante, l'Anglais Charles Rolls effectue avec succès la double traversée, tandis que son compatriote Grahame-White perd la course Londres-Manchester, au profit
du Français Paulhan. 1910 est également l'année pendant laquelle le record d'altitude passe de 1 000 m (Latham) à 3000 m (Legagneux). Le10 juillet, les 100 km/h sont dépassés par Morane, et, le 25 août, les 500 km en distance par Tabuteau. Blériot,Voisin et Farman sont les marques des avions respectivement vainqueurs.
Enfin, toujours en 1910, les Alpes sont traversées par un jeune Péruvien, Géo Chavez, qui se tue à l'atterrissage (photo ci-dessus).
Les militaires commencent alors à s'intéresser à l'aviation et organisent les premières manoeuvres avec des avions avant de les employer en opérations en 1911 (guerre italo-turque en Tripolitaine).
L'année 1910 voit encore de nombreuses innovations : le premier hydravion du Français Fabre, le premier « avion à réaction» du Roumain Coanda, le premier décollage du pont d'un navire par l'américain Ely, la première liaison radio air-sol, les premières vues cinématographiques prises d'avion. Cette année-là, l'aviation a fait vingt-neuf morts.
Cela n'empêche pas l'idée d'aviation de s'imposer dans le public. En 1911, on a construit 1 350 aéroplanes dans le monde, on a fait 13 000 voyages « au-dessus de la campagne », et 12 000 aviateurs ont parcouru un total de 2 600 000 km... Mais on a consommé 8 000 hélices ! Il faut dire que l'on « casse du bois » assez souvent à l'atterrissage. Très vite, dès 1911, nous voyons apparaître le métal dans la construction aéronautique : les frères Morane revêtent de tôles d'acier le fuselage de leur monoplan, tandis que Ponche et Primard créent le Tubavion avec voilure entièrement en aluminium.
C'est également l'époque à laquelle Levavasseur lance le « monobloc », monoplan à aile cantilever (montée en porte à faux, sans hauban), et recouvre le moteur et les roues de surfaces profilées. Bientôt, on parle d'« aérobus », puisque Breguet et Sommer se livrent un duel épique à qui transportera le plus de passagers : le 23 mars, Sommer en fait décoller douze avec un moteur de 70 ch.
Le 18 février 1911 a lieu, aux Indes, un grand événement : la première poste aérienne au monde, avec le Français Henri Péquet sur Sommer, moteur 50 ch.
Après les frères Voisin, les premiers constructeurs ouvrent leurs usines : Bristol, Farnborough, De Havilland, Avro, Hawker, Short en Angleterre, Martin (avec Bell, Douglas et McDonnell), Curtiss et Cessna aux Etats-Unis ; Morane-Saulnier, Caudron, Hanriot, Nieuport en France ; Fokker aux Pays Bas, et Sikorsky en Russie, qui construira le premier quadrimoteur du monde, le Bolchoï, en 1913.
Cependant, on donne de plus en plus d'importance aux questions de sécurité et les instruments de bord viennent un à un prendre place dans les avions : notons l'indicateur de vitesse du capitaine Etévé et l'anémomètre qui fera du nom de Badin un nom commun.
Ainsi équipés, les aviateurs peuvent affronter la nuit : le 11 février 1911, Robert Granseigne survole Paris à 3 heures du matin sur un Caudron. Une sécurité supplémentaire apparaît à la même époque : le parachute. C'est l'Américain Berry qui, le premier, saute d'un avion, le 11, mars 1912, au-dessus de Saint Louis.
.L'Exposition de 1912 réservait une surprise à ses visiteurs : un monoplan construit par Deperdussin présentait pour la première fois la formule «monocoque » (rigidité de la coque obtenue par le seul revêtement) qui allait permettre un important gain de place. De plus, cette trouvaille allait faire gagner des kilomètres. C'est sur un Deperdussin que Védrines et Prévost devaient battre le record du monde en 1912 et 1913 (Prévost dépassera le premier les 200 km/h, le 29 septembre 1913, avec un moteur Gnome de 160 ch). Les grands voyages commencent à intéresser les aviateurs. Les 366 km séparant Paris du Puy de Dôme, enjeu du prix Michelin, sont franchis par Renaux et Senouque sur appareil Maurice Farman, moteur Renault de 60 cv, le 7 mars 1911 (le prix avait été fondé en 1908). En mai 1911, la course Paris Madrid est gagnée par Védrines, le seul à terminer le parcours ; Paris-Rome voit la victoire de Beaumont devant Garros. Beaumont devance Garros

J. Conneau (Beaumont) gagne le Circuit de Grande Bretagne en Juillet 1911
encore au circuit européen (11 étapes et 1 710 km) et Védrines au tour d'Angleterre (2 200 km).
Aux États-Unis, on applaudit la première traversée du continent par Rodgers en 49 jours et 68 escales (soif un temps de vol de 82 h). L'année suivante, 1912, marque un tournant décisif pour les raids. Brindejonc des Moulinais réalise le premier circuit des Capitales ; Marc Bonnier, Barbier et Védrines relient Paris au Caire ; enfin - exploit qui fera
date, comme celui de Blériot en 1909 -Roland Garros traverse la Méditerranée. Il est à bord d'un Morane et met 7 h 53 mn à franchir les 730 km qui séparent Saint Raphaël de Bizerte, avec un parcours au-dessus de l'eau de 500 km.
Et une nouvelle sensationnelle arrive d'Allemagne : le pilote Reinhold Boehm vient de voler pendant plus de 24 h sur son Albatross, moteur Mercedes 75 ch. Nous sommes en juillet 1914.
À cette date, un mois avant le déclenchement du premier conflit mondial, les progrès réalisés en moins de dix ans par l'aviation sont énormes. Il suffit de comparer les records officiels de la F.A.I. de 1906 et de 1914, tout en notant certains points remarquables.

Tableau des records